PALME D’OR : Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat (France). PRIX DU 40′. ANNIVERSAIRE : Intervista de Federico Fellini (Italie). GRAND PRIX SPÉCIAL.

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Tous droits r•serv•s † Association des cin•mas parall‡les du Qu•bec, 1987 Ce document est prot•g• par la loi sur le droit d…auteur. L…utilisation des services d…—rudit (y compris la reproduction) est assujettie – sa politique d…utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffus• et pr•serv• par —rudit. —rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos• de l…Universit• de Montr•al, l…Universit• Laval et l…Universit• du Qu•bec – Montr•al. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document g•n•r• le 8 jan. 2022 12:10 Cin•-Bulles Le cin•ma d†auteur avant tout Festival de Cannes Le quaranti‡me rugissant Michel Coulombe Volume 7, num•ro 1, aoƒt⁄octobre 1987 URI : https://id.erudit.org/iderudit/34538ac Aller au sommaire du num•ro —diteur(s) Association des cin•mas parall‡les du Qu•bec ISSN 0820-8921 (imprim•) 1923-3221 (num•rique) D•couvrir la revue Citer cet article Coulombe, M. (1987). Festival de Cannes : le quaranti‡me rugissant. Cin•-Bulles, 7(1), 24⁄29.

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Festival LE PALMARES 1987 PALME D’OR : Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat (France) PRIX DU 40′ ANNIVERSAIRE : Intervista de Federico Fellini (Italie) GRAND PRIX SPÉCIAL DU JURY : Repentir de Tenguiz Abouladzé (URSS) PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE : Barbara Hershey (USA) pour Shy People d’Andrei Konchalovsky PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE : Marcello Mastroianni (Italie) pour les Yeux noirs de Nikita Mikhalkov PRIX DE LA MISE EN SCÈNE : Wim Wenders pour les Ailes du désir (RFA) PRIX DE LA MEILLEURE CONTRIBUTION ARTISTIQUE : Stanley Myers pour la musique du film de Stephen Frears Prick Up Your Ears (GB) PRIX DU JURY -Ex-aequo : Souleymane Cissé (Mali) pour Yeelen et Rentaro Mikuni (Japon) pour Shinran CAMÉRA D’OR : Nana Djordjadze (URSS-République de Géorgie) pour Robinsonnade ou Mon grand-père anglais PALME D’OR DU COURT MÉTRAGE : Palissades de Laurie Me Innés (Australie) PRIX DU COURT MÉTRAGE D’ANIMATION : Academy Leader Variations de Daiv Erlich avec la participation de 20 animateurs (USA) PRIX DU COURT MÉTRAGE DE FICTION : la Mort soudaine et prématurée du colonel K.K. de Milos Radovic (Yougoslavie) Vol. 7 n° 1 Michel Coulombe Le quarantième Ł Pour SOUB-rugissant sner avecic,at *Ł son quarantième anniversaire, le vieux lion cannois, festival parmi les festivals, a rugi avec force, histoire de rappeler à la communauté cinématographique internationale, à tous ceux qui convergent une fois l’an vers la Croisette, paradis des voyeurs, pour y faire des affaires ou y voir des films, qu’il est toujours numéro un. Histoire de rappeler, à l’heure peu glorieuse des téléfilms sournois qui se donnent un petit air de septième art, alors que la France même est remuée par le pouvoir multiplié de la télévision, qu’il reste encore, quoi qu’on en pense, un peu de place sur les écrans pour le cinéma. Le vrai. Celui qui reste. Celui des grands. Celui des Fellini, Godard, Wenders, Taviani, Mikhalkov, Scola, Pialat, Rosi, Allen, Greenaway, Schloendorff, Konchalovsky. Tout de même, Cannes étant le royaume absolu des starlettes et des stars de toutes natures de l’Occident, les meilleurs films ont eu beaucoup à faire pour voler un tant soit peu la vedette à la pétulante Elizabeth Taylor venue promener sa gloire ancienne, son visage nouveau et ses bijoux coûteux sur la Côte d’Azur et à la très photogénique Diana venue promener son prince sous les flashes survoltés des photographes, loin de belle-maman. D Du cinéaste comme personnage Federico Fellini, auteur d’Intervista, aura choisi de jouer son personnage jusqu’au bout. Il prend prétexte d’une adaptation de Kafka (l’Amérique) sur laquelle il travaille pour pénétrer, une fois encore, dans le monde du cinéma et rendre hommage, en maître de céans, à Cinecittà, à l’occasion du cinquantième anniversaire des célèbres studios romains. Une équipe japonaise, symbole parfait des nouveaux médias, le suit à la trace. Elle amène le maestro, pour qui la nostalgie est tout à fait ce qu’elle était (même s’il s’en défend bien), à jeter un oeil amusé sur le passé en recréant son arrivée aux studios, à confronter de façon spectaculaire le passé au présent en réunissant dans un moment magique Marcello Mastroianni et Anita Ekberg autour du souvenir, encore chaud, de la Dolce vita et à envisager, sombre, l’avenir du cinéma, ce qui donne lieu à une scène finale chargée de sens tout en étant délicieusement absurde. On y voit le cinéma, en l’occurrence une équipe de tournage surprise par la pluie qui se réfugie sous un abri de fortune, attaqué par la télévision, sauvage et cruelle, comme autrefois les bons pionniers de l’Ouest américain (et ceux des westerns après eux) par les vilains Indiens. Des Indiens que Fellini, facétieux, a armé d’antennes de télévision ! Si la machine semble à la longue tourner quelque peu à vide, si Intervista n’apparaît pas comme un film d’une extrême rigueur (on est loin de la Strada, d’Amarcord ou même d’Et vogue le navire, le dottore parle plutôt d’un bloc-note) et s’adresse d’abord aux spectateurs fidèles du maestro, le film fonctionne tout de même, vraisemblablement grâce au personnage Fellini (on finira par être tout à fait persuadé que Fellini demeure sa plus fascinante création), héros vieillissant du septième art qui refuse obstinément de baisser les bras, de dévier sa route, de se travestir pour plaire au plus grand nombre. Pareille intégrité ne court plus les salles obscures. Tant pis si le message acerbe d’Intervista est financé, en partie, par la télévision italienne Jean-Luc Godard tente un peu le même coup que son collègue transalpin avec King Lear, une commande plutôt farfelue qu’il a reçue de l’entreprenante compagnie américaine Cannon et pour laquelle il a signé un mémorable contrat sur un historique napperon à Cannes, deux ans plus tôt. Alors, comme Fellini, il réalise un film autour du film-événement qu’on lui a commandé (et tant pis pour Norman Mailer, scénariste officiel avec lequel il s’est brouillé), se met en scène tel qu’en lui-même, joue avec le cinéma et lance le produit fini, mixé la nuit précédente, à Cannes, hors-concours. Hélas, cette fois le charme n’est pas au rendez-vous. Et, si on s’amuse un moment du bon tour qu’a joué, impitoyable, l’enfant terrible du cinéma français aux très voyants producteurs de Cannon qui ont attendu de lui, et jusqu’au dernier moment, l’improbable, c’est-à-dire un film de prestige sur l’une des pièces maîtresses de l’oeuvre de Shakespeare, on s’ennuie vite et profondément devant un film-puzzle qui n’a CINE3ULLES 24

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Festival pas envie d’être montré, même à des festivaliers avides et boulimiques. On peut parier que Godard, qui profite d’une grosse commande pour signer l’un de ses films les plus confidentiels, laissera cette fois plus de souvenirs, plus de traces avec ses paradoxes des grands jours (« Ce n’est pas parce que Cannon m’a acheté que je me suis vendu ») qu’avec ses sons et ses images. Godard, sur grand écran, est, et de loin, une de ses plus décevantes créations. Qu’il se montre la tête cernée d’électrodes ne change rien à l’affaire. Au contraire ! D Les grands films Le charme est l’essence même de Marcello Mastroianni qui en a à revendre dans les Yeux noirs de Nikita Mikhalkov, un film qui aurait très bien pu enlever la Palme d’or. En fait, les Yeux noirs propose une rencontre de géants, celle de Mikhalkov, Mastroianni et Tchekov. Le réalisateur soviétique, qui a beaucoup fréquenté Tchekov, s’est librement inspiré de plusieurs nouvelles de l’auteur de la Mouette pour établir la trame de ce film généreux qu’il a imaginé pour Marcello Mastroianni. Du coup, Tchekov n’est plus ce grand auteur chez qui on s’ennuie désespérément de Moscou. Tchekov a le charme inouï de Mastroianni, parfait dans ce rôle de Romano, Italien paresseux, mari volage, architecte velléitaire, qui raconte à un compagnon de voyage d’origine russe sa passion pour Anna, séduite dans une ville d’eau puis abandonnée à son sort d’épouse du gouverneur d’une petite ville de Russie. Voilà qu’on est entraîné sur le chemin tortueux de la vie de Romano, menteur, fourbe, raté et pourtant touchant comme on ose à peine l’imaginer. La quintessence de l’art, du grand art de Mastroianni. En réussissant sans compromis esthétique, sans casting aberrant (ah ! Silvana Mangano, Elena Safonova), sans aplanissement des identités culturelles, le mariage de l’Italie et de l’URSS, Mikhalkov ébranle à point nommé tous ceux qui perçoivent, à regret, la coproduction comme un cul-de-sac trop longtemps décrit comme la voie de l’avenir. Il rassure le spectateur déçu d’Un homme amoureux de Diane Kurys et de Chronique d’une mort annoncée de Francesco Rosi. Peut-être parce qu’ici le projet cinématographique, en béton, n’a jamais cessé de primer sur le deal. Et c’est tant mieux, car le public, moins bête qu’on ne le croit, ira voir, enthousiaste, un bon film, jamais une bonne affaire. Jamais. Le cinéma italien, représenté par les Fellini, Scola, Rosi et Taviani, a fait très bonne figure au Festival. La vieille garde tient le coup, ce qui serait plutôt rassurant pour l’Italie. La situation contraire est, quant à elle, nettement plus inquiétante. On ne le sait que trop bien au Québec où l’insuccès CINF3L/LLES 25 Les Yeux noirs Vol. 7 n° 1

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Festival « Je ne suis pas d’avis que la télévision tue le cinéma. » (Yves Montand, président du jury, édition 1987) Anthony Delon, Chronique d’une mort annoncée Vol. 7 n° 1 simultané de deux pionniers, Gilles Carie et Arthur Lamothe, avec la Guêpe et Equinoxe, a installé, l’an dernier, un détestable climat de morosité. Peu importe qu’il pousse des feuilles nouvelles si le tronc de l’arbre est en mauvaise santé Les frères Taviani quant à eux sont en parfaite forme. Et leur plus récent film, Good Morning Babilonia, le plus cher de leurs films à ce jour, ne laisse aucune place au doute. Moins politique que la Nuit de San Lorenzo et Allonzanfan, il n’en confronte pas moins l’économie minée de l’Italie à celle florissante des Etats-Unis, abordant le thème de l’exil et du déracinement (esquissé dans un des sketches de Kaos), de même que celui de la fierté nationale. Le film raconte l’histoire de deux frères toscans, miroir non autobiographique de Paolo et Vittorio Taviani, qui laissent derrière eux leur métier d’ouvriers bâtisseurs de cathédrales pour partir faire fortune en Amérique et, peut-être, sauver l’entreprise familiale. Le hasard et la détermination les mènera sur le plateau d’Intolérance de D. W. Griffith où on les engage finalement comme constructeurs d’éléphants pour les décors monumentaux du film. Jusque-là, quoi qu’il advienne, Andrea et Nicola menaient des vies parfaitement identiques, conscients que dès que l’un d’entre eux s’écarterait, même involontairement, de la voie commune, le malheur frapperait à leur porte. Ce qu’on appelle le destin. Celui des frères Bonanno s’accommode mal de la vie facile et du bonheur tranquille. Le cinéma des racines des Taviani impressionne par sa limpidité, sa générosité et sa fabuleuse force d’évocation. Good Morning Babilonia n’échappe pas à la règle. Le film recourt volontiers à des symboles (13 à table pour le dernier repas, l’aigle américain attaquant les immigrants italiens, la caméra de guerre quittant le champ de bataille pour capter les adieux des deux frères, etc.) pour atteindre sa cible. Il parvient à rapprocher l’Europe de l’Amérique en établissant un parallèle entre le cinéma et les cathédrales, tous deux nourrissant, à leur façon, la foi et contribuant à affermir le sentiment d’appartenance. Double hommage aux artisans de Toscane et d’Hollywood qui prend toute sa force au moment du face à face du père, maître maçon, et de Griffith. Chacun tient à imposer le respect à son vis-à-vis. Une scène d’anthologie. Et un film inoubliable. Quant à Wim Wenders, après des détours par le Portugal, le Japon et les Etats-Unis, il rentre en Allemagne. À Berlin plus exactement, « la seule ville d’Allemagne qui n’essaie pas de cacher son passé ». Revenu au pays, il risque le film d’un homme amoureux, cessant de fuir, de craindre les femmes comme le faisait Travis Anderson (Harry Dean Stanton) dans Paris, Texas. La rencontre avec la femme ne pouvait quand même pas se dérouler de façon banale. Pas question donc de montrer un garçon boucher et une pharmacienne qui se font de l’oeil au supermarché et qui sont dévorés par le coup de foudre. Ou quoi que ce soit du genre. Wim Wenders avait besoin d’une tout autre mise en scène pour exalter le sentiment amoureux. Quelque chose de surnaturel. D’abord un lieu exceptionnel, Berlin. Ensuite un homme qui n’en soit pas tout à fait un mais plutôt un ange, un ange amoureux survolant la ville et qui devra sacrifier une partie de lui-même, son immortalité, à l’amour. Et une femme qui sort de l’ordinaire, une trapéziste (un ange à sa façon, terrestre, sans les ailes) qui recevra l’amour. Enfin, une atmosphère irréelle que crée l’utilisation du noir et blanc (c’est que les anges voient le monde en noir et blanc, la couleur est humaine). Alors la rencontre pouvait avoir lieu, la fable être racontée. À travers son personnage principal, Damiel interprété par Bruno Ganz, Wim Wenders cesse alors d’être un esprit pour arriver à l’essentiel, sur les ailes d’un ange. D’ailleurs le film s’intitule les Ailes du désir (en allemand, ce serait plutôt le Ciel au-dessus de Berlin). Il ne s’agirait pas d\in film du réalisateur de Nick’s Movie et de l’Etat des choses si le cinéma n’avait un rôle à jouer dans l’histoire. Un rôle d’adjuvant. C’est Peter Falk dans son propre rôle qui intervient au nom du cinéma, en ami, en conseiller de l’ange amoureux à qui il avoue son passé d’ange. L’ange est la trace qui reste de l’enfance. L’amour (aussi bien que l’âge) est le lot des mortels, comme la vision en couleur (la photographie, admirable, est signée Henri Alekan). Et Damiel (ou Wim Wenders) semble fin prêt à assumer le risque. A arracher ses ailes et à poser les pieds sur terre, au pays. Si les anges de Wim Wenders ne semblent pas être directement branchés sur le Vatican, son film respire tout de même la grâce. Il appartient, comme les anges, à une classe à part, celle des purs chefs-d’oeuvre. D Le rapport à la célébrité Comme Wim Wenders salue, bien bas. Peter Falk, deux autres cinéastes, un Anglais et un Américain, intègrent à leur film un hommage non dissimulé à des personnalités fortes du cinéma améri-CINE3UU.ES 26

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Festival cain. Lindsay Anderson, l’auteur d’If, moinsl militant qu’à son habitude, adapte une pièce de David Berry qui n’a certainement pas renouvelé l’art théâtral mais qui vise droit au coeur, Whales of August. Il réunit pour l’occasion le casting le plus âgé et le plus respectable qui se puisse imaginer, un casting à vous faire presque oublier le tout aussi théâtral On Golden Pound (de Mark Rydell) Imaginez un quintette formé de Harry Carey Jr., Ann Sothern, Vincent Price, Bette Davis et la vénérable Lillian Gish (à qui Good Morning Babilonia a certainement rappelé bien des souvenirs). Autant de dinosaures du septième art qui évoquent le souvenir ému des baleines qu’on regardait passer au large. Un temps qui ne reviendra plus. Jamais. Whales of August se révèle donc un film émouvant sur la vieillesse. Il est centré sur le quotidien tranquille de deux soeurs, Libby et Sarah, qui, à tour de rôle, à différents moments de leurs longues vies, se sont soutenues dans les moments difficiles. Bette Davis, détestable à souhait, et Lillian Gish, juste et sensible, sont parfaites. Et impressionnantes. Hommage réussi. De son côté, Henry Jaglom, le réalisateur de Can She Bake a Cherry Pie ose un film étrange. Someone to Love, qui oscille entre le document et la pure fiction. Un groupe d’amis sont réunis dans un théâtre condamné à la démolition le jour de la Saint-Valentin. Ils ont un point commun, tous vivent seuls. Alors ils viennent ou ne viennent pas parler à la caméra de l’amour et leur rapport à la solitude. L’expérience, hélas, ne mène pas très loin sinon qu’elle relance le jeu de la séduction, jeu bien connu des coeurs solitaires. Cupidon n’est pas loin qui veille au grain. Leur désarroi de Californiens bon chic bon genre a quelque chose à voir avec le ton du Déclin de l’empire américain. Puis, quand tout pourrait être terminé surgit, au fond de la salle, malicieux, philosophe, plus grand que nature, le bon Orson Welles, qui a dirigé Henry Jaglom dans The Other Side of the Wind (qu’on verra peut-être un jour, l’oeuvre de Welles reste, pour une bonne partie, à découvrir). Le film, qui jusque-là ne risquait pas de passer à l’histoire, trouve alors sa raison d’être, avalé par l’ogre magnifique auquel il rend hommage. Someone To Love contient les adieux d’Orson Welles et c’est bien ce qu’on en retiendra. Celui qui choisit de rendre hommage à un ou des monstres sacrés n’a d’autre choix que de céder sa place sous les projecteurs, ce que font, modestes et respectueux, Anderson et Jaglom. Si Cannes est un peu le piédestal sur lequel reviennent poser périodiquement, les grands pour s’entendre applaudir (il arrive aussi, hélas, que le cinéphile moyen, animal étrange, fasse volte-face et Solveig Dommartin. les Ailes du désir CINE3ULLES 27 Peter Falk, les Ailes du désir Vol. 7 n° 1

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Festival Sheila McCarthy, Tve Heard the Mermaids Singing Vol. 7 n° 1 que se lézarde, brusquement, sans prévenir, le piédestal qu’on croyait d’airain ; parfois, le poseur définitivement éclopé ou frappé d’un vertige incontrôlable n’y pourra plus, n’y voudra plus jamais monter), il est aussi le tremplin d’auteurs encore peu connus. Certains plongent, toutes ailes ouvertes, dans le vide absolu et on ne les retrouve jamais. Parfois même, on ne remarque pas leur disparition. À Cannes, c’est connu, l’indifférence est la sentence la plus terrible, la plus redoutée. D’autres effectuent le saut périlleux avec une telle élégance, un tel aplomb, un style si personnel qu’il n’y en a bientôt que pour eux. Direction le piédestal. Ainsi en est-il, à la suite du quarantième Festival, des auteurs de deux films canadiens sélectionnés par la Quinzaine des réalisateurs (section plus sympathique, ces dernières années, à notre cinéma que la sélection officielle, pour d’occultes raisons). Un zoo, la nuit de Jean-Claude Lauzon a impressionné public et spécialistes, tout comme I’ve Heard the Mermaids Singing, film à modeste budget de Patricia Rozema qui, rehaussé par la présence chaleureuse de la rousse Sheila McCarthy, combine la fantaisie, l’intelligence et la vigueur des comédies anglaises à la Forsyth. D’ailleurs, une mordante petite comédie anglaise (qui, comme toutes les autres, est beaucoup plus qu’un film amusant), Wish You Were Here s’est méritée le prix de la critique internationale hors-compétition officielle. À travers l’expérience pénible d’une jeune fille qui n’a pas la langue dans sa poche, le premier film de David Leland lève le voile sur la découverte, pas forcément emballante, de la sexualité. Autre agréable surprise, venue de l’hémisphère sud celle-là, la Lumière du Malien Souleymane Cissé. Sa photographie superbe et son récit envoûtant et énigmatique plongent le spectateur transporté dans l’Afrique ensorcelée et quelque peu effrayante des pouvoirs occultes et des superstitions. La maîtrise du médium est beaucoup plus nette que dans la plupart des films d’Afrique noire qu’on a pu voir récemment. Noce en Galilée, le film de Michel Khleifi produit par la Belgique, la France et la Palestine, n’y va pas quant à lui par quatre chemins pour dire son message de liberté aux peuples juif et palestinien. Une noce palestinienne ne peut se tenir que si la confiance s’installe entre les camps ennemis. La trêve doit être scrupuleusement respectée par les uns et les autres. En fin de compte, l’amour l’emporte sur la guerre, la liberté sur la contrainte. Noce en Galilée évite habilement le piège du dogmatisme qui alourdit jusqu’au naufrage tant de films à thèse, préférant une approche cinématographique à un message mille fois répété. Le film d’Anja Franke, Dani Levy et Helmut Berger, Et moi alors, s’inscrit sous le signe de la liberté, tellement qu’on a un peu l’impression de renouer avec la Nouvelle vague. Un Roméo et sa Juliette, tournés en noir et blanc, sont en panne d’amour, gênés par le quotidien réducteur, jusqu’au jour, béni, où l’aventure ramène la ferveur des débuts pour donner un film jeune, libre, inventif, tout à fait à l’aise là où il se trouve, ni superproduction, ni téléfilm. À Cannes, à Bangkok, à Alger, à Trois-Rivières et à Rimouski, on ne passe pas nécessairement de meilleurs moments devant un écran sur lequel on projette une poignée de millions de plus. Le talent vaut beaucoup plus qu’un cachet de star mirobolant ou une légion de figurants abrutis. n Le vrai, le scandaleux Peut-être vous êtes-vous déjà demandé quelle place réservait-on au cinéma documentaire à Cannes ? Eh bien cela frôle le moins que rien. Les aventures de Pierre Perrault, rappelées dans les Traces du rêve, une production de l’Office national du film, en font foi. Cannes n’est pas la Mecque du réel. Cannes préfère le spectacle. Cette année par exemple on a montré le petit, très petit film télé de la célèbre Diane Keaton, Heaven, une réflexion sans grande profondeur sur la vie après la vie. S’il n’y avait eu au générique le nom vénéré de l’interprète d’Annie Hall, Heaven n’aurait vraisemblablement jamais été projeté dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Même chose pour le film de Laurie Anderson, Home of the Brave, tournage pas très stimulant d’un spectacle tout de même captivant. Le film doit beaucoup plus à la chanteuse qu’à la cinéaste. La présence de Louis Malle à Cannes avait donc quelque chose de réconfortant. Même s’il venait présenter un documentaire destiné à la télévision, And the Pursuit of Happiness, un film tout à fait dans la continuité de celui qu’il montrait à Montréal l’an dernier, God’s Country, Louis Malle a su donner un peu de tonus à CINE3ULLES 28

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