by T Fossier · Cited by 2 — En d’autres matières, le panel est moins connu du public : le code invoque des serments solennels faits devant les juges, les témoignages dont la forme est

142 KB – 7 Pages

PAGE – 1 ============
à Le Ô presque vrai Õ et le Ô pas tout ‹ fait fauxÕ : probabilit ”s et d ”cision juridictio nnelle par Thierry Fossier conseiller ‹ la Cour de cassation, professeur associ ” (Clermont -I) et Fran “ois L ”v’que professeur d’ ”conomie ‹ Mines Paris Tech La th ”orie des probabilit ”s permet de rendre compte de situations ou de ph ”nom ‘nes dont nous ne sommes ni compl ‘te-ment ignorants ni parfaitement inform ”s, et de se rapprocher pas ‹ pas gr ›ce ‹ de nouveaux ”l”ments de preuve du Ôpas tout ‹ fait vraiÕ et du Ôpresque fauxÕ. Par suite, c’est par l’expertise que le choix se fait entre deux mod ‘les explicatifs (ou jeux d’hypoth ‘ses) dont l’un est associ ” ‹ une probabilit ” de v ”racit ” plus grand que pour l’autre, ce qui permet d’appr o-cher le Ôprobablement vraiÕ indispensable au juge, voire de mesurer ‹ quel degr ” il s’ ”loigne du Ôprobablement fauxÕ. Mais le juge est contraint de dire par quel cheminement il passe du Ôpas tout ‹ fait vraiÕ au Ôpresque vraiÕ d’abord, et comment il transforme cette incertitude subsistante en v ”rit ” judiciaire, ce que vient qu ”rir aupr ‘s de lui le justiciable. Le droit jud i-ciaire a pour fonction premi ‘re d’encadrer cette recherche, les pr ”somptions et l’intime conviction la facilitent. 1. – Dans sa recherche du bien et du mal 1, dans sa stigmatisa tion du juste et de l’injuste, finalement dans la r ”ponse ‹ l’injonction qui lui est faite d’affirmer (rendre ferme) une position, le juge recourt n ”cessairement ‹ la logique probab i-liste. A l’instant de sa saisine, il n’est jamais dans l’ignorance compl ‘te, il est d ”j‹ trop tard pour recourir au lancer de d”s : il dispose d’indices mat ”riels, de statistiques relatives au cas et de mod ‘les intellectuels, au moins de pr ”c”dents pour mener des analogies. Mais il n’est pas davantage dans la certitude absolue, puisqu’il n’a pas ”t” t”moin des faits multiples et d’ailleurs fuyants qui composent un crime, un contrat, une d ”cision administrative, un licenciement, un march” 2. – On a ainsi pu d ”montrer ‹ propos de la r ”gulation de la concurrence par l’Autorit ” comp ”tente et son juge de co n-trŽle2 que la th ”orie des probabilit ”s permet de rendre compte de situations ou de ph ”nom‘nes dont nous ne sommes ni compl ‘tement ignorants ni parfaitement inform ”s, et de se rapprocher pas ‹ pas gr ›ce ‹ de nouveaux ”l”ments d e preuve du Ô pas tout ‹ fait vraiÕ ou du Ôpresque fauxÕ . Par suite, c’est souvent par l’expertise que le choix se fait entre m od‘les explicatifs concurrents (ou jeux d’hypoth ‘ses) dont l’un est associ ” ‹ une probabilit ” de v ”racit ” plus grande que pour les autres ce qui permet d’approcher le Ôprobablement vraiÕ indispensable au juge, voire de mes urer ‹ quel degr ” il s’ ”loigne du Ôprobablement fauxÕ . 3. – Mais il y a loin de la coupe de la science aux l ‘vres qui diront le droit. Le juge est contraint de dire par quel ch e-minement il passe du Ô pas tout ‹ fait vraiÕ au Ôpresque vraiÕ d’abord, et comment il transforme cette incertitude subsi s-tante en v ”rit ” d”finitive. Car celle -ci est ce que viennent qu ”rir la victime qui souffre, l’ ”pouse abandonn ”e, l’entr eprise malmen ”e, le consommateur flou ”, le salari ” devenu ch Žmeur, l’administr ” qui se sent Ôpot de terreÕ : non se ulement avoir raison, mais – et d’autant plus fortement s’il ne lui est pas donn ” raison – savoir pourquoi. C’est aussi ce que r e-quiert le maintien de l’ordre dans une collectivit ” qui, sans les croire tout ‹ fait, a besoin de v ”rit ”s bien senties, que rien ne remette en cause : l’autorit ” de chose jug ”e participe de cet ordre, qui interdit, si non de critiquer un jugement, en tout cas de se d ”rober ‹ son ex ”cution une fois que les recours sont ”puis ”s ou de recommencer ind ”finiment le m ’me pr o-c‘s. E tant pass ” de lÕ ”tat religieux ‹ lÕ”tat la Łc, du myst ‘re ‹ la communication, le juge sait que tous les jug ements ne se valent pas, qu’il faut ’tre cru, pris au s ”rieux, que la fin – d”nouer le litige – ne justifierait pas les moyens : affirmer sans s’expliquer. 4. – Tout le droit judiciaire, c’est -‹-dire la m ”thode, l’organisation et le fonctionnement de la justice, est b ›ti pour que soit ”clair ” ce processus de transformation d’une r ”alit ” humaine, ”conomique ou s ociale en ce qu’on appelle la Ô v”rit” judiciaireÕ . Celle -ci n’est pas une certitude : nul n’en dis pose, et le juge, pas plus que quiconque, ne peut y pr ”tendre. Le juge ”tablit une v ”rit ”, qui n’est p as certitude, tout au plus un Ôpresque certainÕ. Si l’adjectif ÔjudiciaireÕ montre qu’il

PAGE – 2 ============
à s’agit d’une fiction, ce qui ne diminue ni la n ”cessit ” ni la for ce de cette Ô v”rit ”Õ-l‹, il indique aussi une marque de f a-brique, celle des juges : le d ”bat d’abord, la motivation explicite ensuite. 5. – Au coeur de ce droit judiciaire, ou constituant sa substance tandis que la fa “on de mener le proc ‘s en serait l’a spect formel, est mise en mouvement une m ”canique probabiliste ( 1) et tr Žne le probl ‘me de la preuve ( 2), dont les variantes descendent litt ”ralement jusqu’ ‹ l’”chelon proprement indicible de l’intime conviction du juge. L’acuit ” du questionn e-ment est redoubl ”e lorsqu’il s’agit de rechercher la responsabilit ” d’un dommage ( 3). 1. La m ”canique probabiliste : dualit ” et r ”vision des probabilit ”s 6. – A priori , tout semble opposer le monde des probabilit ”s et la d ”cision judiciaire. Le premi er renvoie aux jeux de hasard, un lancer de d ”s par exemple, et ‹ la notion de moyenne statistique ; alors que la seconde s’appuie sur des m o-biles et des encha flnements de causes, et s’ ”vertue ‹ cerner le cas d’esp ‘ce. Le tirage au sort pour d ”signer les co upables n’a -t-il pas ”t” abandonn ” depuis la haute Antiquit ” et le recours au jugement de Dieu depuis la Renaissance ? 7. – Une telle opposition repose sur une vision tronqu ”e et statique de la notion de probabilit ”. Bien s žr, nous avons tous appris que la probabilit ” se calculait comme le nombre de cas favorables divis ” par le nombre de cas possibles. Par exemple, la probabilit ” d’obtenir un 5 en un lancer de d ”s est de 1/6 soit environ 0,17 ; de m ’me, la probabilit ” que la pi‘ce de monnaie retombe sur face (ou sur pile) est de 1/2, soit 0,5. Nous nous rappelons tous ”gal e-ment que ces r ”sultats attendus s’appuient sur la loi des grands nombres. C’est seulement en lan “ant 100 ou 1 000 fois le d” ou la pi ‘ce que la fr ”quence ob serv ”e des faces se rapprochera des valeurs th ”oriques ( ‹ condition nature llement que le d ” ne soit pas pip ”, ni la pi ‘ce fauss ”e). Mais la th ”orie des probabilit ”s ne s’applique pas uniquement aux jeux de hasard et aux ”v”nements qui se r ”p‘tent un grand nombre de fois. La probabilit ” d”signe ”galement le degr ” de certitude plac ” dans une hypoth ‘se. Par exemple, s’il est ”tabli que le crime n’a pu ’tre commis que de l’int ”rieur et par un gaucher, il appara fltra tr ‘s probable que l’assa s-sin parmi les personn es pr ”sentes soit le seul gaucher du groupe. Remarquons qu’il n’y a l ‹ aucune trace de fr ”quence ou de moyenne. Il s’agit d’un simple raisonnement sur un ”v”nement unique. L’application de la th ”orie des probabilit ”s ‹ la logique plut Žt qu’au jeu de hasard a notamment ”t” d”velopp ”e par John Maynard Keynes dans son grand trait ” de pr o-babilit ”. Pour l’auteur de la Th ”orie g ”n”rale de l’emploi, de l’int ”r’t et de la monnaie, Ç la th ”orie des probabilit ”s a pour sujet la part de nos connai ssances acquises par l’argumentation et traite des diff ”rents degr ”s dont les r ”sultats obtenus ainsi so nt conclusifs ou non conclusifs È 3. La notion de probabilit ” est donc double, d’un c Žt”, la probabilit ” en tant que fr ”quence observ ”e ou pr ”dite, de l ‘autre la probabilit ” en tant que croyance dans la force d’une hypoth ‘se. Les travaux de Blaise Pascal, pionnier du calcul des probabilit ”s, illustrent parfaitement cette dualit ”. Pascal est le premier ‹ r”soudre le probl ‘me dit de la partie interro m-pue 4, opposant deux joueurs de cartes ; et il est aussi bien s žr celui qui, dans son c ”l‘bre pari, applique la logique pr o-babiliste pour d ”cider de quel comportement adopter face ‹ l’existence incertaine de Dieu. Naturellement, les deux n o-tions se rejoignent. Le degr ” de certitude d’une hypoth ‘se peut ainsi reposer sur des probabilit ”s issues d’observations stati stiques. D ‘s lors que les tests g ”n”tiques ont ”tabli que 9 maris sur 10 sont le p ‘re des enfants dont leur ”pouse vient d’accoucher, le juge peut pens er avec un degr ” de confiance ”lev ” et avant de disposer de tout autre ”l”ment que le mari qu’il a en face de lui est le p ‘re biologique de l’enfant maltrait ”. 8. – Une fois rapproch ”e la probabilit ” de la logique, l’opposition entre le calcul des chances et la d ”cision judiciaire commence ‹ s’estomper. Elle dispara flt compl ‘tement en consid ”rant un des principaux th ”or‘mes de la th ”orie des pr o-babilit ”s, le th ”or‘me de Bayes. Ce th ”or‘me offre un pr ”cieux moyen de r ”viser son degr ” de croyance dans une hyp o-th‘se en fonction de l’apport de nouveaux ”l”ments de connaissances. La formule (1) ci -dessous le r ”sume : (1) p(H/e) = p(H)[p(e/H)/p(e)] : o š H d ”signe une hypoth ‘se, e un ”l”ment de preuve et / l’ op”rateur ÔSachant queÕ . Supposons par exemple que H d ”signe l’hypoth ‘se que l’inculp ” soit coupable du meurtre et que e d ”signe la pr ”sence de traces de son ADN sur la victime. p(H/e) est la probabilit ” que l’hypoth ‘se de culpabilit ” soit vraie sachant qu e l’ADN de l’accus ” a ”t” retrouv ”e sur le cadavre. L’”quation (1) se lit alors de la fa “on suivante : la probabilit ” de H sachant e est ”gale ‹ la probabilit ” de H multipli ”e par la probabilit ” de e sachant H divis ”e par la probabilit ” de e.

PAGE – 3 ============
à Elle permet d’ ”tablir comment le degr ” de certitude d’une hypoth ‘se change avec les indices qui sont apport ”s. Au d ”-part, seule la probabilit ” g”n”rale, ou a priori , de culpabilit ” est connue, p(H) ; elle peut ’tre fond ”e sur l’exp ”rience du juge ou sur la culpabilit ” observ ”e en moyenne par la statistique dans des affaires similaires. L’ ”l”ment de preuve, ou indice, apport ” change la donne. Gr ›ce au th ”or‘me de Bayes, une nouvelle probabilit ”, a posteriori – la probabilit ” que H soit vraie sachant que l’ ”l”ment e a ”t” trouv ” -, peut ’tre calcul ”e ; elle d ”pend de la probabilit ” a priori , p(H), et d’un multiplicateur, [(p(e/H)/p(e)]. C’est ce dernier qui va conduire ‹ r”viser ‹ la baisse ou ‹ la hausse, et plus ou moins fo r-tement, la probabilit ” a priori , p(H). 9. – Bien ”videmment lorsque l’indice n’apporte rien de significatif, l’ ”valuation de la culpabilit ” n’est pas modifi ”e. Apprendre, par exemple, que l’inculp ” se pr ”nomme Martin n’entra flne pas de r ”vision de la probabilit ” de sa culpab ilit” de m eurtre : p(H) est ”gal ‹ p(H/e) car p(e/H) est ”gal ‹ p(e) (i.e., la proportion d’individus portant le pr ”nom Ma rtin est la m ’me parmi la population des assassins que dans la population fran “aise). A l’inverse, d ‘s lors que la probab ilit” de trouver l’ADN de l’accus ” sur le cadavre sachant qu’il est coupable, p(e/H), est plus ”lev ”e que la probabilit ” de trouver l’ADN de l’accus ” sur le cadavre ind ”pendamment de sa culpabilit ”, p(e), la probabilit ” de culpabilit ” se voit augment ”e suite ‹ la d ”couverte de l’ADN car selon la formule, p(e/H) est plus grande que p(e). 10. – Notons que la formule (1) peut ’tre appliqu ”e plusieurs fois de suite, au fur et ‹ mesure de l’arriv ”e de nouveaux ”l”ments de preuve. Il suffit d’utiliser la probabilit ” a p osteriori comme nouvelle probabilit ” a priori . Cette d ”marche qui consiste ‹ r”viser son degr ” de certitude ou de croyance plac ” dans une hypoth ‘se en fonction de nouveaux ”l”ments de connaissance porte le nom en th ”orie des probabilit ”s de m ”thode Bay ”sie nne. Notons ”galement que p(H/e) revient ‹ ”tablir dans quelle mesure l’indice e entra flne que l’hypoth ‘se H soit juste. Si par exemple p(H/e) est ”gale ‹ 0,9 il est hautement probable que e im plique H. D’o š le terme utilis ” de probabilit ” des causes pour d ”signer ”galement cette d ”marche probabiliste. 11. – Cette m ”canique probabiliste ”tant rappel ”e, examinons comment elle est mise en mouvement par le droit jud i-ciaire. 2. Preuve, pr ”somption, conviction du juge 12. – Dans une vision classique mais acceptable par tous, du probl ‘me de la preuve en justice, la distinction est faite entre celle des actes, produits de la volont ”, dont la preuve est, sauf quelques exceptions, ”crite et dont l’existence m ’me peut ’tre ni ”e s i aucun ”crit n’en a ”t” dress ” 5, en sorte que la Ô v”rit ” judiciaireÕ ne proc ‘de que d’une con statation du juge ; et celle des faits, auxquels s’appliquent les questions soulev ”es dans l’introduction, c’est -‹-dire ‹ partir desquels le juge doit d ”gager une v ”rit ”. 13. – Autrement dit, lorsque l’effet juridique n’est pas recherch ” en tant que tel, que la volont ” s’exprime sans ”gard a priori pour cet effet -l‹, ‹ plus forte raison lorsqu’aucune volont ” n’est d ”celable dans le processus qui a condu it ‹ la saisine du juge, ce qui peut ’tre une d ”finition du fait, alors ce juge ne peut exiger la m ’me preuve formelle. Dans cette hypoth ‘se de la preuve des faits, le l ”gislateur, qui nourrit en France de mauvais souvenirs de l’arbitraire des Parlements d e l’Ancien R ”gime, laisse le moins possible vagabonder l’esprit du juge. Certes, le juge dispose d’une premi ‘re pr ”somption, en quelque sorte l’hypoth ‘se de d ”part que lui soumettent les pa rties au proc ‘s : ‹ ce juge, il est pr ”sent ” un individu soup “onn” d’un crime, ou il est racont ” un accident qui semble impl i-quer plusieurs automobilistes 14. – Mais pour la suite du raisonnement, le l ”gislateur ”tablit des pr ”somptions. Ce sont d’abord des cadeaux prob a-toires faits ‹ l’un des plaideurs. Ce sont aus si des facilit ”s intellectuelles pour le magistr at – les civilistes parlent Ç d’op”-ration de l’esprit par laquelle on tire la vraisemblance d’un fait ‹ partir de la preuve acquise d’un autre È 6, de Ôcons ”-quenc es que (la loi ou) le magistrat tire d’un fait connu ‹ un fait inconnuÕ (C. civ., art. 1349) 7. 15. – Voici qui illustre parfaitement la m ”canique probabiliste esquiss ”e pr ”c”demment ‹ partir du th ”or‘me de Bayes. Nous avons vu qu’il livre un proc ”d” simple permettant de produire une information nouvelle – la probabilit ” a posteri o-ri – ‹ partir de la combinaison de plusieurs autres ”l”ments d’information, dont la probabilit ” a priori . De fa “on plus g”n”rale, la statistique offre un grand nombre de proc ”d”s analogues. Rappelons que la d ”marche indu ctive 8 est en effet

PAGE – 4 ============
à au coeur de cette application technique de la th ”orie des probabilit ”s. Le statisticien cherche en effet ‹ inf ”rer d’un e n-semble limit ” d’informations particuli ‘res d’une partie de la populat ion – celles apport ”es par l’ ”chantillon – des caract ”-ristiques g ”n”rales valables pour l’ensemble de la population. 16. – Citons deux pr ”somptions en mati ‘re p ”nale, pour l’exemple. Lorsqu’une personne vivant avec une prostitu ”e ne peut pas justifier d e ses ressources, il est pr ”sum ” prox ”n‘te, poursuivi en tant que tel et la charge de la preuve est alors renvers ”e. Lorsqu’un auteur ou un journaliste reproduit une all ”gation diffamatoire, il est pr ”sum ” de mauvaise foi et poursuivi comme l’auteur m ’me de la diffamation. Dans ces deux configurations, le l ”gislateur se porte fort d’une r ”alit ” statistique : les compagnons des prostitu ”es sont souvent leurs souteneurs, les journalistes v ”hiculent parfois des r a-gots Dans certaines hypoth ‘ses, celles -ci ou d’autres, la Ôpreuve contraireÕ est admise : ce sera un t ”moignage, une preuve ”crite, un alibi d ”montr ” La loi signifie, dans le cas du souteneur, que l’hypoth ‘se a priori la plus vraise m-blable est que le compagnon d’une prostitu ”e vit des revenus de celle -ci, mais le juge doit ”tudier quand m ’me, ‹ partir de ce que lui rapporte le mis en cause, l’hypoth ‘se inverse selon laquelle d’autres ressources, licites, profitent au couple. En d’autres termes, la pr ”somption donne un degr ” de certitude a prio ri, degr ” de certitude qui pourra ’tre e nsuite r ”vis ” selon les ”l”ments de preuve contraire apport ”s par la personne soup “onn”e de prox ”n”tisme. 17. – Il existe une face claire et une face sombre du m ”canisme de la pr ”somption ”tablie par la loi. On aura compris qu’une pr ”somption est une simplification destin ”e ‹ gagner du temps et ‹ am”liorer l’efficacit ” de la justice. Mais la pr”somption emp ’che aussi l’imagination et, ‹ certains ”gards, dispense de recourir ‹ des probabilit ”s ”labor ”es. La pr”somption est alors une probabilit ” d”finitivement fig ”e dans la loi. Cette probabilit ” peut ne pas guider la d ”cision – toutes les pr ”somptions ne sont pas irr ”fragables – mais combattre une pr ”somption est une voie d’exception, plac ”e s ous le contr Žle du juge. Voil ‹ qui est fort utile mais signifie n ”cessairement l’approximation, voire la fausset ”. Un exemple peut en ’tre donn ” : lorsque le conducteur d’un v ”hicule qui a ”t” pilot ” en infraction au Code de la route n’a pas pu ’tre identi fi”, le titulaire du certif icat d’immatriculation (Ôcarte griseÕ ) est pr ”sum ” responsable de l’infraction et poursuivi. La loi, et ‹ sa suite le juge, ne cherchent pas ‹ invoquer ici une quelconque mesure statistique (il n’est pas av ”r” du tout que les v ”hicules d’entreprises, principalement concern ”s par ce dispositif, soient conduits le plus so uvent par le titulaire de la carte grise !), mais ‹ emp ’cher des discussions consid ”r”es a priori comme longues et poss iblement sans issue. Il n’est pas sous -tendu par la loi qu’il existe un rapport avec une probabilit ”, mais on proc ‘de par ”conomie : ex post (acc ”-l”rer le traitement d’affaires somme toute simples) et ex ante (conjuguer en un seul agent, l’int ”r’t et les moyens d’in s-taurer la prudence au volant). So us un certain angle, le proc ‘s-verbal que dresse le gendarme est aussi le vecteur, l ”ga-lement consacr ”, d’une pr ”somption : il veut transformer un fait en acte, dont le contenu s’i mposerait par cons ”quent au cours du d ”bat devant le juge. Comme ce ne peut ’tre qu’une fiction (il y a des proc ‘s-verbaux inexacts, de bonne ou de mauvaise foi), il faut n ”anmoins admettre une preuve contraire (par exemple, un proc ‘s-verbal de contravention vaut Ôjusqu’ ‹ preuve contraireÕ , au demeurant fort difficile ‹ rapporter, exclusivement un ”crit ou un t ”moignage). 18. – Les pr ”somptions sont aussi nombreuses en droit priv ” (civil, affaires, travail) : un mur s ”paratif de deux pr o-pri ”t”s est pr ”sum ” mitoyen, ce qui fixe notamment le r ”gime de son entretien ; tout enfant est pr ”sum ” avoir pour p ‘re biologique le mari de la femme ayant accouch ” Et dans ces divers cas, lorsque la loi admet que la pr ”somption soit renvers ”e par divers ”l”ments factuels qui constitueront une probabilit ” plus forte que celle du code. Mais s’il n’y a ni preuve ”crite ni pr ”somption l ”gale, le juge est bel et bien livr ” ‹ sa plus totale libert ” dans son appr ”-ciation initiale et dans sa r ”vision en fonction des ”l”ments factuels qui lui sont communiqu ”s. 19. – Certes, la loi sait ‹ qui demander de r ”unir les ”l”ments dits probants : en mati ‘re p ”nale, au procureur de la R ”-publique, dont c’est la fonction premi ‘re ; en d’autres mati ‘res, au plaideur qui y a le plus int ”r’t, en g ”n”ral celui qui saisit le tribunal. La loi sait tr ‘s bien aussi encadrer les modalit ”s de recueil de ces ”l”ments : perquisitions, saisies, police scientifique, auditions, ”coutes, v ”rifications diverses Les trois codes de proc ”dure sont d’une loquacit ” inim a-ginable sur ce volet du droit judiciaire, qu’ils adaptent chaque jour davantage aux pr ”ceptes des droits de l’homme et au principe g ”n”ral de Ôl oyaut ”Õ. Enfin, la loi sait comment faire analyser correctement, sinon scientifiquement, les ”l”-ments ainsi r”unis : c’est, globalement, le r Žle des experts. Sous cet angle, le syst ‘me de preu ves dit ÔcontinentalÕ (par opposition au syst ‘me britannique et, par d ”rivation, nord -am”ricain) cherche de mani ‘re irr ”pressible ‹ s’enraciner dans la raison, la convictio n du juge ne venant que coiffer ou couronner des ”l”ments d’allure scientifique, dans leur contenu ou dans la m ”thode de r ”colte.

PAGE – 5 ============
à 20. – Mais aucun de ces ”l”ments n’est consid ”r” par la loi comme sup ”rieur aux autres. Aucun en principe ne se suffit ‹ lui -m’me et les juges ont interdiction de se d ”cider, en tout cas de s’expliquer, sur la base d’un seul. En mati ‘re p ”nale, tous sont bien connus des amateurs de r ”cits criminels : des indices, des t ”moignages, des notes, courriers ou courriels compromett ants, des aveux. En d’autres mati ‘res, le panel est moins connu du public : le code invoque des serments solennels faits devant les juges, les t ”moignages dont la forme est strictement encadr ”e, et surtout les Ô pr”somptions de l’hommeÕ , sans grand rapport avec les pr ”somptions ”voqu”es pr ”c”demment, et d ”crites par la loi comme des conje c-tures Ô abandonn”es aux lumi ‘res et ‹ la prudence du magistratÕ (sic) (C. civ., art. 1349) , autrement dit l’ ”quivalent des indices du droit p ”nal. Cette absence de hi ”rarchi e entre les ”l”ments probants a un nom, qui r ”sume tout notre syst ‘me de preuves des faits, singuli ‘rement en mati ‘re p ”nale : l’intime conviction du juge. Le terme est joliment d ”velopp ” dans le Code de proc ”-dure p ”nale ‹ propos des jur ”s de cour d’assises, mais il renvoie au for int ”rieur du magistrat. 21. – L’intime conviction n’est pourtant que le troisi ‘me et dernier stade du cheminement judiciaire en mati ‘re de faits : elle coiffe, ‹ partir de la pr ”somption premi ‘re qu’est l’hypo th‘se soumise au magistrat, l’ensemble des pr ”somptions, l”gales et judiciaires, qui s’y sont greff ”es au cours du proc ‘s. En mati ‘re p ”nale, c’est l’intime conviction qui permet ce passage d’une culpabilit ” presque vraie (il est tr ‘s probable du fait de l ‘”vidence rassembl ”e que l’inculp ” soit co upable) ‹ la v ”rit ” judiciaire : la personne mise en cause est coupable. Il est ind ”niable que l’intime conviction comporte une dim ension d’arbitraire, au sens o š elle proc ‘de secr ‘tement et ne se justifie pas, par d”finition m ’me. Un contr Žle des Ô motifs insuffis ants ou contradictoiresÕ , – ni plus ni moins, et les mots ont leur poids ici -, est effectu ” par la Cour de cassation. L’intime conviction est un arbitrage plus qu’un arbitraire : elle renvoie le juge ‹ l’exercice d’un choix entre des jeux concurrents d’hypoth ‘ses pouvant aboutir ‹ des conclusions oppos”es. D’un c Žt”, par exemple, un alibi solide, un mobile mince et des indices mat ”riels d ”favorables, d’un autre un alibi peu cr ”dible, un mobile ”vident e t des indices mat ”riels peu probants. Au juge de d ”cider quel est le mod ‘le expl i-catif qui est marqu ” de la probabilit ” de v ”racit ” totale la plus grande. 22. – D’embl ”e, on est frapp ” de ce paradoxe : la preuve pr ”sente d’autant plus d’importance, que le l ”gislateur all ‘ge l’obligation du juge de se justifier. L’exemple du droit p ”nal est patent : il requiert la r ”union d’indices mat ”riels et de donn”es psychologiques en g ”n”ral compliqu ”s ; l’enjeu est maximal puisqu’il s’agit de mettre en oeuvre la r ”pression ; et pourtant les codes criminels ne comportent aucune th ”orie g ”n”rale de la preuve en cette mati ‘re, ils se contentent d’encadrer la proc ”dure de collectes des faits, ils s’en remettent finalement aux vertus du contradictoire. Il n’y a pas lieu de le regretter, d’autant que l’abolition de la hi ”rarchie des preuves, dit syst ‘me « de la preuve l ”gale », est une conqu ’te r ”volutionnaire. Le droit de la responsabilit ”, qui tend ‹ absorber le droit priv ” dans son ensemble 9, donne de s exemples caract ”ristiques de cet ÔarbitrageÕ judiciaire, d ”nomm ” express ”ment ou pas intime conviction. 23. – Le droit de la responsabilit ” est plut Žt simple dans ses articulations : dans l’ordre croissant de difficult ” prob a-toire, le juge attend la p reuve d’un dommage, celle d’un fait dit Ô g”n”rateurÕ , celle d’un lien de causalit ” entre les deux. Il est inutile de proclamer ‹ quel point les probabilit ”s ont un r Žle de premier plan dans cette recherche, ‹ tous les stades. Depuis le XIX si ‘cle, le calcu l statistique prend dans ce domaine la forme de pr ”somptions l ”gales, du type de celles que nous avons ”voqu”es en premi ‘re partie, et de pr ”somptions cr ””es par la Cour de cassation, g ”n”ralement appro u-v”es par la doctrine (l’Universit ”). Mais cette entr ”e massive des probabilit ”s dans le droit perdure, notamment devant l’ap parition de Ôdommages absolusÕ au sens oš ils transcendent la relativit ” du temps et des sujets de dro it, ou qu’il faut ÔabsolumentÕ r”parer sans discussions byzantines autour de tel ou tel stade du raisonnement en trois temps ”nonc” pr”-c”demment. On en trouve des exemples dans les grands accidents a ”riens ou maritimes, dans les atteintes majeures ‹ l’e nvironnement, dans les actes de terrorisme, dans les suites de catastrophes dues ‹ l’u rbanisation, etc. 24. – Il ne s’agit pas ici d’ ”voquer un th ‘me cher ‹ l’analyse ”conomique du droit, celui des pr ”somptions de faute, lesquelles ne reposent pas sur le calcul de probabilit ” mais cherchent comment allouer ex ante les responsabilit ”s afi n de maximiser les efforts de prudence de celui qui est le mieux ‹ m’me d’ ”viter l’accident au moindre co žt et accessoir e-ment de r ”duire ex post les d ”penses de justice. 25. – La pr ”somption de causalit ” ob”it ‹ bien des ”gards ‹ la m ’me r ”f”rence Ô philosophiqueÕ . La causalit ” est de loin le tiers le plus ardu du cheminement probatoire de la victime. L’opposition, traditionnelle en droit de la responsab ilit”, entre la Ô causalit ” ad”quateÕ et la Ô causalit ” ”quivalenteÕ illustre parfaitement le recours qui est fait, l ‹ encore, ‹ l’an alyse ”conomique du droit classique. La th ”orie de la causalit ” ad”quate rattache exclusivement le dommage ‹ celui de ses

PAGE – 6 ============
à ant ”c”dents qui, normalement, d’apr ‘s la suite naturelle des ”v”nements (selon l’expression habituelle de la Cour de cassation), ”tait de nature ‹ le produire, ‹ la diff ”rence d’autres facteurs dont la suite dommageable appara flt exceptio n-nelle. La causalit ” ”quivalente, de plus en plus souvent retenue par les tribunaux pour favoriser les victimes, retient comme cause du dommage, et condamne solidairement, sans les hi ”rarchiser, tous les facteurs qui sont en lien direct avec ce dommage. 26. – Bien plus proch e de notre questionnement est la pr ”somption de pr ”judice, qui a connu une ”volution spectac u-laire, dont le fondement probabiliste ne fait pas de doute, aboutissant ‹ la th ”orie du risque : le recours au concept de perte de chance. La question d’origine ”tait celle de la r ”paration possible ou impossible des pr ”judices futurs d’une victime, notamment de la r ”paration des s ”quelles probables d’un accident. Les auteurs de grands dommages, ou leurs assureurs le plus souvent, redoutent la sp ”culation ou l’angoi sse qui pousseraient une victime ‹ imaginer des pr ”judices seulement ”ventuels. La solution apport ”e ‹ ce probl ‘me par la Cour de cassation : perte de chance de profiter d’un bel appartement parce que le notaire a mal r ”dig ” l’acte de vente, perte de chanc e d’un propri ”taire de cheval d’encaisser le prix d’une belle course parce que le transporteur de l’animal est arriv ” en retard, perte de chance de r ”ussir une belle carri ‘re parce qu’un chauffard blesse un candidat peu avant le concours Voici que le ca lcul de probabilit ” s’affine, et m’me s’individualise, comme on l’aura compris ! 27. – On est bien ici dans le raisonnement probabiliste car il s’agit de sp ”culer sur Ô ce qui se serait pass ” siÕ. Le juge doit en quelque sorte imaginer un arbre de d ”cisions ou d’ ”v”nements, dont le point de d ”part serait que l’ ”v”nement ne s’est pas produit et les bifurcations successives sont diff ”rents ”v”nements, auxquels sont associ ”es des probabilit ”s et dont certains excluent qu’il y ait une perte. La probabilit ” de la perte se calcule alors comme la multiplication des pr o-babilit ”s de chaque ”v”nement de la s ”quence qui aboutit ‹ la perte. 3. Conclusion 28. – Dans le domaine des sanctions, dont il n’est pas interdit d’affirmer qu’il pr ”sente une importance premi ‘re en droit priv ” comme en droit administratif, la soif de certitude est l ”gitime. Mais elle est inextinguible : la v ”rit ” jud iciaire est une construction en millefeuilles, dans laquelle la m ”canique probabiliste, bien plus que l e calcul de probabil it”s, joue un r Žle central, jusqu’aux portes de l’intime conviction du juge. Sous cet angle, la tradition juridique contine ntale qui inclut ce qu’elle d ”nomme les pr ”somptions dans l’ensemble de ce qu’elle d ”nomme le syst ‘me de la preuv e, m ”riterait d’’tre compar ”e, par exemple en mati ‘re de droit p ”nal ou de droit de la concurrence ou des march ”s fina nciers, ‹ la tradition anglo -saxonne du Ôdoute raisonnableÕ . In La Semaine Juridique Edition G ”n”rale n ¡ 14, 2 Avril 2012 Note 1 F. L ”v’que et Th . Fossier , Le bien et le mal en droit ”conomi que : Lamy Concurrence 2011, n ¡27, p. 100. Note 2 F. L ”v’que, Les probabilit ”s et le droit, une rencontre inattendue : Lamy dr. aff. 2012, ‹ para fltre . Note 3 J. Maynard Keynes (1920), A Treat ise on Probability, chap. 1 : ”d. Rough Draft Printing, 2008. Note 4 2 joueurs misent 11 ducats dans une partie ‹ 60 points en deux manches ; la partie est interrompue ‹ l’issue de la premi ‘re manche alors qu’un joueur a marqu ” 50 points et l’autre 30 points. Quelle somme doit r ”cup ”rer chaque joueur ? Pascal apporte la r ”ponse : 16,5 d u-cats pour le premier joueur et 5,5 pour le second (V. http://www.math93.com/theoreme/probabilites.html). Note 5 Lorsqu’une, ou des volon t”s, s’exprime pour produire des effets de droit, ce qui peut ’tre une d ”finition correcte de l’acte juridique, la trace doit en ’tre conserv ”e, pour ’tre au besoin retrouv ”e. Un ”crit – papier ou ”lectronique – constatant et d ”crivant l’acte, subsidiairement un ”crit rendant vraisemblable l’acte (ce que la loi appelle de mani ‘re ”loquente Ôcommencement de preuve par ”critÕ ) : point de probabilit ”s qui vaillent ici. Peut -on au moins se d ”fendre contre la preuve ”crite ou ses ”quivalents ? Oui, par un autre ”crit. Non par des t ”moignages, pas davantage par des probabilit ”s, sinon dans le domaine particulier de l’acte ”lectronique. Note 6 G. C ornu, Vocabulaire juridique, Pr”somption : ”d. PUF, 2011.

142 KB – 7 Pages